The song of the lonely moutain

C’était le vibreur de son portable qui l’avait tiré hors du sommeil dans lequel il semblait parfaitement immergé. L’ouverture des paupières fut dure, bouger son corps à moitié nu le fut davantage. Il lui semblait que ses mouvements étaient horriblement lourds, chacun de ses membres devait encore être profondément endormi, et le réveil n’était certainement pas le bienvenu à cette heure. Il était encore tôt, mais il était trop tard : il était debout. Un bref coup d’œil à la fenêtre suffit pour le décourager encore. Ce paysage enneigé, il le détestait. C’était tellement froid, difficile, … Loin d’être son élément. Il avait besoin de chaleur. Celle-ci, il la retrouvait chaque jour, cependant. Dans les bras de son amant. Et demi-frère. Se tournant vers le lit, il put le regarder, encore assoupi au creux des draps. Il arborait un sourire en coin aux souvenirs de la nuit qu’ils avaient passée ensemble. Un cadre récurrent, répétitif, mais infiniment plaisant. Il se rappelait encore de tout ce qui s’était passé entre eux depuis qu’ils s’étaient revus. Les choses avaient changé du tout au tout, personne ne l’appréhendait, cet avenir commun. Lui-même, parfois, s’interrogeait longuement sur ce qui ce serait passé s’il avait agi différemment, ou s’il n’avait pas tourné autour du pot. Enfin, après ce moment de réflexion, campé devant le lit « conjugal », il se traîna silencieusement dans la cuisine.

Chacune de ses actions, dans cette pièce toute aussi froide que vide, était aussi la même chaque jour. Il préparait le café, qu’il buvait seul à moins que sa moitié ne se soit levée en même temps que lui. Il ne mangeait que très peu, pas très affamé au réveil. Il s’octroyait une cigarette à la fenêtre, dont il ne profitait que rapidement en cette saison, attaqué par le froid piquant. Il montait ensuite se préparer longuement dans la salle de bain et s’offrait une douche qui le remettait d’aplomb. C’était en cet instant qu’il était des plus minutieux. Dans son travail, il devait avoir une tenue irréprochable. Il devait être un exemple de charisme, de beauté, de sensualité, ou il voulait simplement être le fantasme de tous. Car même si savoir qu’il plaisait à la charmante personne encore endormie dans son lit était primordial, il nourrissait ce désir constant pour toute autre personne susceptible de le distraire une heure ou deux. Cette tendance lui avait valu des disputes aussi virulentes qu’interminables, tout comme son soudain amour pour l’alcool durant ses heures de travail ou sa forte odeur de cigare et cigarette. Et pourtant…

Il était maintenant l’heure de partir. Au volant de sa luxueuse voiture, généreusement offerte à lui-même après une gracieuse rentrée d’argent, il se plaisait à frimer, esquissait des sourires aux jeunes femmes avides de richesse qui croisaient son regard ténébreux. Cette prestance le suivrait jusqu’aux petites heures du matin, à la fermeture du Kamikaze, club hérité de son père qu’il reprit longtemps seul avant que son demi-frère ne se joigne à lui. Arrivé le premier, il s’occupait d’allumer chaque lumière, vérifiait les réserves de boissons et d’autres produits qui servaient à ses hôtes, puis attendait les premiers employés avant de se retirer dans son bureau tout ce qui relevait de l’administration. Et comme tous les jours, la porte s’ouvrit sans même qu’on y frappa. Il avait l’habitude de cette scène, et arborait d’avance un petit sourire au coin des lèvres en attendant les premiers mots de son demi-frère.

« Bien sûr que je le fais exprès, je ne serai jamais tranquille avec toi dans les pattes le matin. Je pensais que tu avais compris, depuis le temps. »

Les bras croisés sur son bureau, il l’observait, la tête légèrement penchée sur le côté, attentif au Coréen en face de lui. Il attendait cette prochaine pique qui constituait ces joutes verbales quotidiennes entre eux.

Le Japonais avait joué au désintéressé tout au long de ce petit jeu de gestuelle sensuelle que lui avait offert son interlocuteur. Et ce malgré l’effet qu’il lui faisait, même caché sous ce manteau gris qu’il trouvait de trop ; cet effet fut d’ailleurs fort accentué lorsque l’homme s’était débarrassé du vêtement gris et arborait magnifiquement un pull noir assez seyant sous lequel il devinait ce corps sculpté qu’il avait eu le temps d’apprendre par cœur. Il appréciait chaque jour les tenues du bel éphèbe et succombait souvent à ses pensées fort peu catholiques, souvent des souvenirs. Mais en cet instant, il était bien trop occupé à jouer ce rôle tout à fait indifférent face à lui, dans la même posture quoiqu’il ait redressé la tête pour mieux l’observer, croisant ce regard qui le sondait aussi de l’autre côté de la pièce. Il ne répondit d’ailleurs pas à sa nouvelle attaque.

Il se contenta de s’appuyer contre le dossier de son fauteuil en cuir noir alors que l’autre s’avançait vers lui. Leurs regards semblaient ne pas vouloir se quitter, il pouvait sentir la chaleur de ses prunelles sombres sur son visage. Il détourna les yeux pour suivre ce geste négligé vers le fauteuil en face du sien, puis les reporta rapidement sur la beauté glaciale maintenant à ses côtés. Il frissonnait d’impatience sous sa chemise noire de haute couture légèrement ouverte sur le haut de son torse. ( ♠ ). Il se laissa faire, le visage à présent levé vers lui, et son sourire s’était quelque peu agrandi maintenant qu’ils étaient aussi proches l’un de l’autre. Son regard l’avant transpercé et avait fait céder sa résistance, il fut comblé par le toucher de ses lèvres sur les siennes qu’il appuya davantage en se dressant sur son fauteuil et en imposant sur la nuque de son amant une tendre main.

« Bonjour toi. »

Leur petit jeu matinal était maintenant terminé, il pouvait laisser libre cours à son comportement habituel envers lui. Aussi volage fut-il, il lui vouait un amour sincère. Certes, il avait mis du temps à le trouver, cet amour, mais maintenant qu’il était là, il ne comptait plus l’effacer. Il était seulement conscient que ses égarements n’étaient pas toujours bénéfiques pour eux, bien qu’il fût incapable de s’en empêcher une fois trop tenté par l’appel de la chair.
Lui adressant un fin sourire, il reposa un instant ses lèvres sur les siennes pour satisfaire sa rare envie de tendresse. Il mit une légère distance entre eux et l’attira sur ses genoux après avoir reculé son fauteuil du bureau, un bras le saisissant autour de la taille.

« Tu as bien dormi ? Pas trop dur le réveil ce matin ? »

Dès qu'il fut installé sur ses genoux, il déposa sa main sur sa cuisse pour y prodiguer quelques caresses, se plaisant à y remonter un peu trop haut parfois pour taquiner son amant. Il lui arrivait de se faire taper sur les doigts lorsqu'il l'embêtait de la sorte, mais c'était toujours un autre petit jeu amusant pour lui. Ca l'était d'autant plus quand son demi-frère y était plus que réceptif. Ses mouvements furent arrêtés par la main du Coréen qui la lui emprunta pour la serrer dans la sienne, geste qu'il ne réprima pas. Au contraire, son pouce pris le relais dans ses intentions en caressant sa peau douce.

Ses sourcils se froncèrent un peu quand il lui dit qu'il n'avait pas passé de bonne nuit. Il l'avait trouvé apaisé en se levant, mais peut-être venait simplement de réussir à trouver un petit sommeil. L'histoire de ce rêve récurrent le laissa aussi perplexe. Il voulait bien sûr en savoir plus sur ce qui tourmentait ses nuits, mais il fut pris de volée. En levant les yeux vers lui, il remarquait son air fatigué qu'il dissimulait un peu derrière ses cheveux sombres. Il sentait son corps glisser contre le sien, le manque de sommeil devait y être pour quelque chose. Mais pour lui, il restait tel un poids plume qui reposait paisiblement sur son corps. Il le ceintura un peu plus afin de le maintenir à bonne hauteur sur ses cuisses. La suite du discours l'étonna tout autant.

« Une tâche sur ta cuisse? Je serai curieux de voir ça tiens... » d'abord d'un ton un peu taquin, avec un sourire du même dessiné sur son visage.

Il reprit plus sérieusement.

« Ce ne serait pas simplement un bleu? Tu t'es peut-être cogné quelque part ou pendant la nuit et tu n'y as pas fait attention. »

Il desserra son étreinte pour pouvoir le laisser se tourner vers lui et, libérant sa main, la porta à sa joue pour y appuyer sa paume. Maintenant qu'il le regardait plus attentivement, il le trouvait pâle et bien sûr fatigué. Il fit glisser sa main jusqu'à son front, craignant une petite montée de fièvre. Puis il le laissa tranquille en faisant retomber sa main à son endroit initial et favori: sa cuisse.

« Moi j'ai bien dormi. Je me suis reposé comme il le fallait. Toi par contre, je crois que tu peux retourner te coucher un peu. Je commencerai la soirée sans toi si tu veux. Je préfère te voir avec une meilleure mine que celle que tu as maintenant. »

Il avait toujours été soucieux de son état, même quand ils étaient simplement "frères", vivant sous le même toit. Il y eut une période ou Hyun ne signifiait malheureusement plus rien pour Daisuke qui s'était senti trahi par ses agissements, mais il n'était jamais resté parfois sans se poser la question : "Comment ça va aujourd'hui? Qu'est-ce que t'es en train de faire là?" avant de se surprendre à sourire pour quelqu'un qu'il était venu à détester. Les choses avaient bel et bien changé depuis, et il semblait se soucier bien plus encore de son demi-frère qu'il ne l'avait jamais fait auparavant.

Sans attendre une quelconque riposte de la part de sa moitié, il descendit les marches d’un pas pressé, trottinant presque, pour trouver refuge à l’endroit habituel. Il n’était pas en sécurité là-bas, savait qu’on pouvait le retrouver, mais aussi bizarre que cela puisse paraître, il avait toujours trouvé cette rue derrière le Kamikaze assez apaisante. Il y était la plupart du temps seul, avec pour seule compagnie matérielle une cigarette et un muret qui lui permettait de s’asseoir. L’endroit n’était clos que par un grillage de fer derrière lequel il pouvait admirer une autre rue du même acabit. Et, les yeux rivés sur cette maigre barrière, il savourait son tube de papier et de tabac en essayant de mettre sa colère de côté. Il tremblait légèrement, mais il n’admettait pas que c’était son état qui le mettait dans un pareil émoi. Juste un manque. Ce pourquoi il tirait de trop longues bouffées qui le faisaient parfois tousser sur sa cigarette, pour se sentir plus rapidement détendu.

Il entendit la lourde porte de métal s’ouvrir en grinçant de manière désagréable, et il comprit que sa tranquillité serait de courte durée. Il sut tout aussi rapidement qui était venu le rechercher, sans même l’avoir entendu parler ou l’avoir regardé. Il se concentra sur le son des bottes du Coréen qui claquaient sur le sol avant de s’arrêter devant lui, mains en poche, et il le regarda avec, au départ, un éclair de mépris. Ses premiers mots le firent cependant sourire, bien qu’amèrement, et cette lueur dans son regard disparut tout aussitôt. C’étaient des mots qui ne le réconfortaient ni ne le calmaient, qui ne faisaient que lui rappeler qu’il était un enfoiré fini vis-à-vis de la personne qu’il aimait, et qui pourtant s’accrochait dur comme fer à lui grâce à un amour platonique. Est-ce que c’était cela, se sentir coupable ?

Ce sentiment nouveau lui donnait l’impression d’être perdu. Depuis quelques mois, plus rien ne semblait aller. Et rien ne paraissait vouloir aller vers une amélioration. La dernière phrase prononcée par son amant fut la goutte de trop dans le trop plein de sa fureur prête à déborder. Faisant un pas en avant vers lui, il approcha son visage du sien.

« Je voulais simplement savoir jusqu’où tu irais. Mais toi, trop pris dans ton délire, tu ne m’as laissé le temps de rien faire. Bien fait pour toi si tu es frustré, maintenant. Et bien sûr que je suis fier, trop fier pour être celui qui sera pris, et trop fier pour crier sur tous les toits que j’appartiens à quelqu’un. »

Plus il se sentait contrarié, plus son ton devenait sec et froid. Une main agrippa soudainement le col de son manteau pour l’attirer davantage vers lui et il lui souffla ces derniers mots.

« Tu ne nous trouves pas si proches, mais tu sembles avoir oublié à quel point on l’était avant que tu ne te fasses la malle quand on était gosse… Tout ça s'est arrêté net, le jour où tu t'es barré.»

D’un coup, en plongeant ses yeux sombres dans ceux de son demi-frère, il se rendit compte de ce qu’il faisait. Il le relâcha et fit quelques pas en arrière, marmonnant des excuses en baissant les yeux sur le béton qui recouvrait le sol. Il jeta sa cigarette à terre, l’écrasa du plat de sa chaussure. Son comportement était insensé et incompréhensible, jamais il n’aurait songé l’empoigner un jour, c’était comme s’il levait la main sur lui. S’il l’avait regardé, Eon Hyun aurait pu lire la crainte et la méfiance qu’il éprouvait de lui-même dans ses yeux.

« Je vais… Je vais m’éloigner quelques heures. Excuse-moi... »

Il avait écouté doucement chacun des mots que son amant avait prononcés au creux de son oreille. Au fond, il avait raison. Se détacher de cette déception passée pour mieux se concentrer sur leur relation présente, c’était ce qu’il fallait faire. Et malgré ce qu’il lui avait craché au visage et qu’il ait levé la main sur lui, il semblait plus attendri qu’en colère. Daisuke lâcha un profond soupir en appuyant son menton sur son épaule, les yeux fermés, le serrant à son tour dans ses bras, laissant ainsi parler tout son soulagement.

Il se sentait à présent plus léger. Il avait dit qu’il lui appartenait, et ça, il le pensait depuis le début de leur relation. Il l’aimait, d’un amour fort malgré ses égarements qu’il avait parfois du mal à se pardonner quand il voyait dans quel état il mettait Eon Hyun. L’amour de la chair était cependant trop grand pour qu’il s’en défasse sur une simple décision. Il avait besoin de temps, ne se sentait pas non plus prêt, paradoxalement à ses sentiments, à se vouer corps et âme à une seule et même personne. Il succombait rapidement aux belles paroles et aux jolies courbes. C’était plus une faiblesse qu’un sentiment de puissance, cette addiction, en réalité. Il courait sûrement à sa propre perte et à celle de leur couple en la conservant au plus profond de lui-même, s’en venait à penser à présent que c’était peut-être du à un complexe plus qu’à un plaisir. N’était-il pas en train de perdre soudainement toute confiance en lui ?

Toujours lové au creux de ses bras, il ne put répondre tout de suite à cette dernière question. Ce serait trop absurde à raconter, Hyun le prendrait pour un fou, et lui perdrait toute crédibilité en plus du malaise qu’il vivait déjà. Il secoua la tête.

« Je ne peux pas te le dire. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe en réalité, Hyun. »

Il défit son étreinte et fit lâchement un pas en arrière, plongeant ses mains dans ses poches et les yeux vissés sur le sol. Ce n’était pas encore le moment, lui semblait-il, pour parler de ce trouble qui le hantait et qu’il avait parfois du mal à cacher, comme il y a quelques minutes.

« Je veux juste… Que tu me pardonnes pour t’avoir empoigné. Mais je pense qu’il serait mieux que je reste à l’écart une heure ou deux, ok ? »

Le ton de sa voix n’était pas assuré, laissant percevoir toujours une légère crainte ou un doute quelconque venant des précédents évènements et de son propre ressenti.

(Un peu court, je peux essayer d'étoffer si ça ne te convient pas )

Le trouble que le Japonais ressentait l’empêchait de paraître un temps soit peu normal. Et pourtant, la volonté de le cacher semblait être plus forte que la nature, sans pour autant qu’il ne parvienne à ses fins. Il avait l’impression que cette très légère distance entre eux allait le mettre plus à l’aise, loin de son amant, de son corps, de son odeur, de tout ce qui provoquait ses autres faiblesses et qui le forcerait peut-être à parler sous la culpabilité. Il finit enfin par lever les yeux sur son frère, esquissa un sourire un peu trop forcé même s’il n’apparut que sur le coin de ses lèvres, puis retourna son attention contre le mur de béton du Kamikaze dont il pouvait entendre les premières musiques résonner à l’intérieur.

« C’est plus compliqué que ça, Eon Hyun. Je n’ai… Plus envie de lever la main sur toi, même si c’est déjà arrivé. C’est tout. Enfin, je ne sais pas encore vraiment expliquer ça, c’est pour ça que… »

Il se racla un peu la gorge, plongeant ses mains dans ses poches. Il soutint ensuite plus longuement le regard du Coréen en entendant ses bottes frapper lentement le sol, le regarda s’approcher sans avoir le temps de s’éloigner de nouveau. Ses yeux se fermèrent quand ses lèvres entrèrent en contact avec son front tiède caché par quelques mèches de cheveux. Le silence était de mise après qu’il ait été interrompu, autant ne pas trop en dire avant d’être tout à fait certain de ce qui se passait. Daisuke se contenta alors de hocher la tête, prenant un air alors plus serein en pensant que se montrer ainsi lui permettrait de ne pas s’inquiéter et de mieux s’endormir.

« D’accord. Je rentrerai tôt aujourd’hui, je pense comme toi avoir besoin de repos. Dors bien. »

Avant qu’il ne s’en aille définitivement, il le retint pour déposer brièvement ses lèvres sur les siennes, puis le suivit du regard, attendant qu’il soit assez loin pour s’accroupir, dos contre le mur, se passant les mains sur le visage comme pour reprendre contenance. Jamais il n’aurait pensé que son amant puisse le voir ainsi dans son rétroviseur, il le croyait déjà parti à vrai dire. Quelques minutes lui furent nécessaire avant qu’il ne se relève pour savourer le seul moyen qui lui permettait de s’apaiser lorsque Eon Hyun était absent : une cigarette, petit bonheur avant de retourner faire bonne figure dans son antre.